A mon sens, plusieurs écueils doivent être évités : la tentation du « bon vieux temps », d’une vision nostalgique d’organisations qui ne sauraient plus être opérationnelles dans notre monde en pleine mutation ; la facilité du « bashing » qui tend à désigner des boucs-émissaires pour des maux qui sont en réalité plurifactoriels ; et surtout, les velléités de « tabula rasa » de remises à plat généralisées dans un contexte de fragilisation où au contraire, doivent prévaloir la confiance et la réassurance des acteurs.
Le serpent de mer du questionnement sur les Agences Régionales de Santé ressurgit régulièrement. J’étais sur le terrain chaque jour pendant la crise sanitaire, comme tous les acteurs des hôpitaux et cliniques privés. Après quelques hésitations face à la soudaineté de la pandémie, les ARS des régions les plus touchées par le Covid – je pense notamment à l’Ile-de-France – ont déployé dans des conditions souvent homériques, une régulation équilibrée des acteurs du territoire, les conduisant à une vraie coopération et une réelle opérationnalité au service des patients.
C’est précisément pendant cette période que certaines pesanteurs technocratiques ont été passées par pertes et profits. Les ARS ont été d’autant plus méritantes que le pilotage de la donnée dans notre pays laisse cruellement à désirer, et qu’il a bien fallu composer avec l’engagement et la bonne volonté de tous. N’ayons pas la mémoire courte : par le passé, la « préfectoralisation » de la gestion de certaines crises, latéralisant le ministère de la santé, n’a pas produit des effets très concluants…
Néanmoins, nul ne peut prétendre que la situation présente est pleinement satisfaisante. Mais les griefs faits aux ARS sont souvent le fait d’un Etat prompt à dégainer directives et instructions (qui par capillarité rejaillissent sur les acteurs de santé), au détriment d’une vision stratégique en surplomb. Plutôt qu’un illusoire grand soir, quelques réformes simples et pourtant structurantes, permettraient d’améliorer vraiment la gouvernance de notre système de santé. La dérogation réglementaire en est un exemple.
D’abord, depuis la carte régionale de 2021, les grandes ARS se sont parfois éloignées du terrain. L’effort doit être mis sur des délégations territoriales renforcées, plus proches encore des acteurs de terrain et des besoins du territoire. Ensuite, il faut conforter les ARS dans leur rôle fondamental de régulatrices équitables de l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire, en réponse aux attentes des populations. Aujourd’hui, elles sont tiraillées entre deux logiques contradictoires : gérer les hôpitaux publics et organiser toute l’offre de soins de manière équilibrée au service des patients, avec les médecins et les soins ambulatoires, et les établissements de tous statuts.
Une évolution de leurs missions s’impose donc, comme support nécessaire au développement d’une véritable démocratie territoriale de santé, qui favorise la coopération de tous.
Lamine Gharbi