Nous voyons apparaitre depuis quelques jours des vocables dont, sauf à être des constitutionnalistes avertis, nous étions peu familiers : c’est le cas de cette « loi spéciale de finances » présentée hier en Conseil des ministres, contenant « les dispositions indispensables au fonctionnement régulier de l’Etat », « nécessaires à la continuité de la vie nationale ». Le bon fonctionnement et la continuité, tels sont bien les enjeux aujourd’hui, tant les forces vives de notre pays, et singulièrement le monde de la santé, ont l’impression de naviguer à vue depuis plusieurs mois.
Notre pays est heureusement doté des garde-fous nécessaires à assurer son bon fonctionnement, et les craintes brandies autour d’un « shutdown » sont évidemment des gesticulations par rapport aux vrais périls de cette censure : le poison lent de la dégradation économique et ses conséquences sur les entreprises et les particuliers ; l’affaiblissement démocratique en lien avec l’instabilité politique ; et l’érosion de la confiance et de l’engagement collectif en l’absence de cap stratégique. Le triptyque « dette incontrôlée, démocratie bloquée, société fracturée » évoqué par le politologue François Miquet-Marty dans son dernier ouvrage « Un ticket pour l’iceberg », est bel et bien à l’œuvre. Ce n’est donc pas une, mais plusieurs crises que le nouveau Premier ministre aura la lourde charge de dénouer.
Il est singulier de se dire que sur le sujet prioritaire des Français, à savoir la santé, nous dépendons actuellement d’une loi transitoire, nous n’avons pas de Loi de Financement de la Sécurité Sociale, petits et grands dossiers sont plus ou moins en carafe, et l’incertitude demeure entière quant à nos futurs interlocuteurs. Ceci dans un cadre de dégradation financière avérée des établissements de santé et de défis colossaux à relever pour le système de santé : accès aux soins, prévention, santé numérique…
Dans ce contexte passablement surréaliste, j’appelle la ou le futur Premier(e) ministre à mettre d’emblée la santé tout en haut de la pile. Le vote dans les meilleurs délais d’un nouveau PLFSS doit survenir, avec un Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance-maladie) permettant aux hôpitaux et aux cliniques d’accomplir leurs missions au service des patients ; la signature dès le début 2025 du protocole de pluriannualité des ressources entre l’Etat et les fédérations hospitalières ; la mise en œuvre d’une vision stratégique embarquant dans la concertation et la complémentarité tous les acteurs de santé ; la reconnaissance des professionnels de santé de tous statuts : tels sont les quelques jalons, indispensables quoique non exhaustifs, qui permettront de renouer les fils de la confiance, préalable à toute action publique profitable à tous.
Lamine Gharbi