24 avril 2024
Édito de Lamine Gharbi (Président de la FHP) – « Shaker » et potion amère
Nous voyons apparaitre dans les médias les mêmes « éléments de langage » pour tenter de justifier la campagne tarifaire 2024 qui a considérablement pénalisé l’hospitalisation privée. S’il a été jugé opportun de faire des « EDL », selon la formule consacrée, c’est bien parce qu’il est complexe de donner une légitimité politique à des décisions fondées sur l’arbitraire bien plus que sur la rationalité.

La référence du ministre de la Santé au « shaker » dans le Figaro du 23 avril prêterait à sourire si elle n’engageait pas la survie de l’un des principaux acteurs de santé dans notre pays. En tout cas, les Français seront contents d’apprendre que les récentes annonces concernant les budgets des établissements de santé sont issues de données entrées dans un « shaker », dont sort « un résultat quasi automatique »… qui nous exclut par un mystérieux effet de centrifugation.

Les enjeux et les décisions de santé méritent d’être présentés aux citoyens avec davantage de sérieux et de rigueur.

NON, les tarifs ne sont pas en hausse dans le public comme dans le privé.  En français, le mot « comme » appelle une équité. Or, à 4,3% pour le public vs 0,3% pour le secteur privé, nul besoin de sens mathématique poussé pour constater l’ampleur de la différence : quatorze fois plus d’augmentation pour l’un par rapport à l’autre. De surcroit, le secteur public a perçu en 2023 plus de deux milliards d’euros supplémentaires pour financer une activité qui n’a pas été réalisée.

NON, les mêmes critères n’ont pas été appliqués aux hôpitaux publics et privés. Après avoir brandi cet argument, le ministre de la Santé justifie d’ailleurs ensuite l’existence d’un écart, lié aux revalorisations salariales consenties aux professionnels de santé du secteur public. Et de préciser : « qui travaillent la nuit », comme si cela était l’apanage du public !  Nous invitons le ministère à se reconnecter au terrain, pour constater que les professionnels de santé – infirmier.e.s, aides-soignant.e.s… – qui exercent dans les hôpitaux et cliniques privés travaillent eux aussi la nuit, sont soumis aux mêmes contraintes et remplissent les mêmes missions au service des patients. Pourtant, ils sont évincés de manière délibérée de ces revalorisations, ce qui constitue pour ces femmes et ces hommes, une injustice profonde.

NON, les établissements de santé privés n’ont pas bénéficié d’aides importantes de l’Etat. Ils n’ont reçu que les recettes attachées à l’activité réalisée et maintenue malgré un contexte inflationniste non couvert, qui a réduit les marges des établissements les plus diligents à dispenser des soins ! Alors que l’activité hospitalière n’a pas retrouvé son niveau de 2019, il ne peut être reproché à des acteurs efficients de s’être davantage mobilisés :  entre 2022 et 2023, nous avons contribué au rattrapage des soins post-Covid pour 400 000 patients, devançant les désirs de notre ministre délégué, appelant ce matin à « retourner au boulot » …

Sur les aides exceptionnelles au titre de l’inflation, si 500M€ ont été alloués à l’ensemble des acteurs, le secteur privé n’a perçu que 15% de l’enveloppe alors même qu’il réalise 35% de l’activité hospitalière. Cette décision procédait déjà du même mécanisme discriminatoire que la campagne tarifaire.

L’avis du 15 avril du Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie souligne un dysfonctionnement structurel dans les choix opérés, et enjoint le Gouvernement à ne pas se borner à des rallonges budgétaires, mais à prendre enfin les mesures d’efficience qui permettront de résorber le déficit croissant de l’hôpital public. Alors que le ministre de la Santé reconnait à demi-mots la reprise poussive de l’activité dans le public, en invoquant des « lourdeurs administratives » et la nécessité de « réformes structurelles », la pénalisation du secteur privé met en péril l’accès aux soins.

Puisque « nous avons besoin de tous les soignants », il revient à la puissance publique de créer les conditions de l’union sacrée, aujourd’hui mise à mal par le dogmatisme ambiant. Notre profession prend toute sa part et est parfois la dernière lumière allumée sur certains territoires. Privé et médecine libérale ont toujours assuré la permanence des soins, sans forcément recevoir les financements en regard. Mais la réponse de tous aux besoins des populations nécessite un cadre de régulation garant des exercices de chacun : attribution des autorisations sans discrimination statutaire, financements équitables, reconnaissance pour tous les professionnels…

Appeler à coopérer tout en discriminant est un non-sens absolu. Il faut d’urgence poser le shaker et revoir la recette. Allez, « tout le monde au boulot » !

                                                                                                                         Lamine Gharbi

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